Visite de Marie-Blandine

Publié le par Marie-Blandine

A walk worthwile

Je viens de lire le récit de voyage de Diva et Thomas. J’en fus bouleversée, aussi je prends la plume, taraudée par ma mauvaise conscience et le pesant silence de Louis sur mon retard... Je conçois ce récit comme un contrepoint, une réponse, à celui de Diva et Thomas, qu’on ne oit pas surpris si je m’adresse à eux, j’écris dans leur sillon, j’écris portée par leur élan. Aussi je reprendrai pour commencer ce grand (gros ?) penseur de notre siècle cité par Thomas à la fin de son article, « les choses se dégradent »…
Connaissant les récits des précédents voyageurs égarés dans Prague et les recherches Google qui amènent les pauvres perdus de la toile sur cet humble blog, je m’attendais à subir des marches forcées jusqu’à ce que mort s’ensuive, à rencontrer des personnes de petite vertu au petit jour, à mourir étouffée par un goulasch de fromage pané dans une cantine prolétaire.

Et bien pas du tout.
Certes cet article s’intitule, on verra pourquoi, dans un procédé de mise en abyme sibyllin propre à faire naître un rictus sur les lèvres d’un élève de l’école des Chartes (ou pas), « A walk worthwile », mais c’est évidemment un procédé antiphrastique.

Certes, je suis arrivée à l’accueillante et chaleureuse gare de Florenc après 11 h de bus nocturne, à 6 h du matin avec une heure d’avance (une fois n’est pas coutume). Certes en attendant Louis qui n’a mis que 18 minutes pour arriver après que je l’ai prévenu ce qui somme toute est peu, je me suis de moi-même infligé 18 minutes dans une « Herna non stop » (comprendre un bar ouvert toute la nuit, avec 3 machines à sous dans le fond d’un local – on ne peut être ouvert toute la nuit qu’en ayant une licence de casino, or qui dit casino dit jeux, les trois bandits manchots fatigués sont donc là pour donner au lieu le titre pompeux de maison de jeux – mais en réalité il s’agit bien d’un triste bar où l’on ne sert un cappucino qu’à contre cœur et contre bien plus d’euros qu’il n’en faudrait).
Mais après avoir posé les affaires chez Louis (salué comme il se doit les 18 nains de jardin), et trouvé l’appartement à peu près dans l’état que décrivent les photos de Mathilde (et pourtant m’a dit Louis, « c’est rangé »), nous fûmes nous promener dans Prague au petit jour.
Et bien je vous le conseille vivement : l’air frais achève de vous réveiller, le pont Charles est vide et vides les vieilles rues, les grandes places et la vieille ville. Tout dort, le jour se lève, et c’est un moment assez magique pour se promener dans Prague. On a l’impression que la vieille ville est un décor de théâtre désert.

Aussi première « best practice » de ce séjour dans Prague : arrivez à 6 h du mat, vous n’en serez pas déçus. L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.
Bon, j’avoue qu’à peine l’horloge astronomique avait-elle sonné 8 heures, et le temps d’aller jusqu’au château, le premier car de japonais débarquait frais et dispos, bardé d’appareils photos (oui je fais partie de ces affreux touristes qui aimeraient visiter les lieux seuls et surtout, surtout sans qu’il y ait d’autres touristes).

Mais tout de même : en à peine 36 heures de temps, je vis les ponts sur la Vtlava, l’église San Loretto et son sanctuaire de la nativité (ou comment caser 57 anges sur une chaire de prêche), un bunker réaménagé en lieu de musique alternatif (« pas bien méchant » dixit Louis, j’abonde dans son sens – n’eût été le rituel de l’absinthe, nettement plus forte que celle qu’il avait rapportée en France), la cathédrale St Guy et ses nuées de groupes parlant toutes les langues de la terre, et ses vitraux einzartig comme disent les teutons, l’inénarrable cross club et son décor de vaisseau de Matrix, des tas d’orgues baroques en deux parties, j’ai appris ce qu’était un orgue positif, un jeu de montre et un bourdon (sans commentaire), retrouvé quelle sainte se fait couper les seins dans son martyre (Ste Agathe ndlr, qui présente donc de la manière la plus ingénue, la plus innocente, en un mot la plus sainte qui soit, ses seins sur un plateau, une fois en peinture et ne fois en sculpture, au cas où on n’aurait pas compris, tandis que la sainte d’en face dont le nom m’échappe, se fait elle gracieusement… arracher les dents), vu un ostensoir d’or et de diamants (mais on sait bien que le plus précieux est à l’intérieur), le cimetière juif et ses tombes d’un autre âge, j’aurai traversé le pont Charles une bonne dizaine de fois, (et là, plein de touristes, de bateleurs, portraitistes – les seuls à retenir l’attention de Louis – violoneux et autres vendeurs de souvenir), appris à connaître la famille Lobkowicz (si tu en croises un, ma fille, marie-le, c’est un bon parti !), vu la synagogue espagnole dans le plus pur style mauresque et repris un cours de culture juive (shavouot, soukkot and co…), l’église St Nicolas Mala Strava où Mozart joua en son jeune temps, une église inconnue au bataillon et fermée tout en bois, datant je l’ai appris depuis grâce à un site internet, du 18ème siècle, et orthodoxe (vu les photos, on s’en serait doutés), visité naturellement le château et la citadelle dont le nom commence par un V (je vais retenir les noms tchèques, non plus !). Sans oublier la messe des expats dont nous décampâmes dès la fin du chant de sortie (pourtant c’était chachatra à souhait, j’aurais bien pris le thé avec les dames à la sortie de la messe mais Louis était peu ouvert à l’idée de rencontrer son directeur du marketing un dimanche matin…).
Et pourtant, tout cela sans vraiment trop se forcer.

Parce qu’entre temps, nous fîmes aussi halte dans de nombreux lieux hautement gastronomiques praguois. Oui Mathilde, au risque de te voir fondre en sanglots nerveux, Louis m’a épargné la cantine prolétaire. On a mangé du goulasch (enfin, pour Louis, du sanglier) à l’auberge du soldat vert (ou rose ?), on a mangé du fromage frit et mariné en hommage à Cricri d’amour, on a pris des gâteaux (mais là Thomas je m’inscris en contre, ils n’étaient pas chers, et la mauvaise conscience prolétaire de Louis l’a incité à ne pas commander de boissons donc au final c’était économique – et délicieux) au Café Louvre (sic, là par contre rien à dire), on a bu du chocolat chaud (mais du vrai de vrai, onctueux comme jamais) dans un autre café chic dont le nom m’échappe – afin de faire de la propagande à l’encontre de C.F. pour lui faire admettre que oui, Prague est une ville chic et agréable, j’ai même eu le droit de prendre un coca et non une sacro-sainte bière au cross club. Et j’ai dormi dans un lit. Et j’ai même pu faire une sieste à 18 h le samedi vu que j’étais arrivée à 6 h du mat et qu’il fallait être en forme pour la nuit. Et j’étais au lit à 2 h du matin (ou presque).
Autant dire que moi qui avais vécu Budapest, Iena et Ulm, moi vieux grognard rompue au « salon » de la 205, je me retrouvai tel le pêcheur du conte à mon réveil comme dans un palais enchanté : j’avais biiieeeeen dormi, et bon ok un globe terrestre auquel une poupée s’était pendue faisait office d’épée de Damoclès au-dessus de ma tête et dans le coin de l’ordinateur un étrange barbu marmonnait des beats beyoncé-esques (mais que diable allait il faire dans cette galère) dans son micro d’enregistrement en attendant que je me réveille, mais ça fait partie du pittoresque du séjour, que voulez vous.
En un mot, oui j’ai bien dormi et j’ai bien mangé à Prague, et non on ne m’a pas amputée de la voûte plantaire gauche à mon retour en Allemagne à force d’avoir trop marché, comme le pauvre Martin, pauvre misère de la chanson.

Que me vaut ce traitement de faveur ? La perspective d’un prochain séjour, à suivre dans un autre épisode. Best practice numéro 2 : asseoir son bargaining power avant d’arriver. (oui Louis va souffrir en mettant tout ça sur son blog et c’est là qu’est le sel de l’histoire).

Un petit moment d’anthologie avant de conclure en expliquant, alors, pourquoi ce titre « a walk worthwile », si ce fut la promenade des champs élyséens.
Il faut dire qu’en rentrant pour la fameuse sieste du Samedi, nous croisâmes des amis américains de l’institutrice-colloc de Louis, auxquels nous dîmes en substance « coucou on est crevés on va dormir ». Une heure plus tard, Louis, avec son souci de la propreté que l’on connaît bien, fâché de n’avoir pu faire sa toilette dès potron-minet (mon coup de fil prématuré l’ayant frustré de ce moment Barbara Gould), file dans la salle de bains afin de retrouver un peu de fraîcheur. Il n’est pas sans croiser l’un des potes américains qui le gratifie d’un bon gros sourire goguenard. Louis, un peu fatigué, ne relève pas trop. Puis j’émerge de la chambre, fraîche et dispose, et nous nous préparons à partir. Et malgré ma grande innocence d’âme, je me rends compte que le lobby américain nous regarde comme s’ils venaient de se mater american pie. Et là nous saisissons ce que la situation peut avoir d’incongru pour des regards extérieurs de philistins : « on va dormir » (oui oui bien sûr), une heure plus tard monsieur part à la douche et mademoiselle joue les ingénues en sortant de la chambre comme Vénus de son coquillage. Bon évidemment, c’était pour dire que les américains sont de gros bourrins et qu’on est bien tristes que Gitton et Daphné partent aux Amériques, on est bien mieux chez nous les amis.

Ce petit interlude gaulois, trivial et grivois (rien que ça) étant passé, voici enfin la clé de l’énigme, ou pourquoi « A walk worthwile ». Eh bien en tchèque, ça se dit « DOBŘE PLACENÁ PROCHÁZKA » et c’est le titre d’un opéra. Or quand Loulou vous emmène à l’opéra de Prague, on se dit que ça va balancer du gros lourd à la Traviata and co. Que nenni. A walk worthwile, c’est un livret à la Feydeau avec de sombres histoires de divorce et d’héritage, d’une tante morte qui revient sur scène, qui se fait courtiser par l’avocat censé arranger le divorce entre sa nièce et son mari (de la nièce, pas de la tante, et encore moins de l’avocat), dont l’enfant (s’ils en avaient un) hériterait un million de la tante (qui n’est cependant pas morte), sachant que la nièce envisage de refaire sa vie avec le facteur (qui d’autre ?). En gros. Pour l’intrigue.
L’air emblématique de la pièce est un chant d’amour (quoi d’autre) qui s’intitule – une fois traduit en anglais –  « you are the most beautiful landscape I know » (on mumure que le librettiste aurait travaillé avec le fameux artiste Cristobald F., auteur de ces vers immémoriaux « tu as allumé une flamme dans mon cœur / mais tu as oublié l’extincteur »…)
Après, la mise en scène est digne de celle de backstage (je le dis comme un hommage à vous bien sûr, je voudrais simplement ajouter pour vous faire justice que l’opéra tchèque manquait de love, terriblement ; ils n’avaient manifestement pas été jusqu’au D2) avec 3 fois plus de moyens et une bonne dose d’acide en intraveineuse : l’avocat chante « je voudrais faire un ode à la gloire du divorce, je voudrais qu’un chœur de femmes divorcées chante avec moi » aussitôt dit, aussitôt fait, une trentaine de « femmes divorcées » sortent des premiers rangs de l’assistance, et viennent le rejoindre en chantant. Elles réapparaîtront dans une loge du premier balcon, en arrière fond de scène, faire les chagasses autour du facteur qui remet ses chaussettes, bref un peu quand ça leur chante pour des intermèdes musicaux.
Ou bien ce moment qui nous laissa pantois Louis et moi où une quarantaine d’enfants déguisés en angelots (collants blancs, ailes de plumes aux épaules, tunique blanche) envahissent la scène puis rejoignent l’arrière scène pour une chansonnette. Le tout sur fond de tractations de successions, chanté par des chanteurs d’opéra dont on n’a jamais compris le mystère de la sonorisation. Manifestement c’était sonorisé, mais la dame se trouvant plusieurs fois en petite tenue (avec le facteur, avec son mari, avec l’avocat… oui, vraiment, « les choses se dégradent »), on a bien pu voir qu’elle n’avait pas d’émetteur micro. Ce mystère restera à élucider.
Voilà pourquoi en tout cas j’ai voulu mettre ce week end sous le signe de cette pièce magnifique, pièce improbable, week end surprenant, et au final, ce chant d’amour s’adresse à Prague « you are the most beautiful landscape I know »…

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